Friedrich Fröbel et l’unité par le jeu

Parfois désigné sous le nom Auguste Guillaume Frédéric Froebel, nous parlons bien ici de Friedrich Fröbel, pédagogue allemand, né le 21 avril 1782, et décédé en juin 1852. On se souvient principalement de lui comme étant le créateur des jardins d’enfants – nous verrons que sa pédagogie s’étend bien au-delà de ce qui se cache sous la conception moderne que nous connaissons aujourd’hui des « Kindergarten ».

Fröbel commença à développer sa pédagogie vers 1836. Elle s’appliquait à diverses composantes de la petite enfance, dont les principales étaient :

  • Le jeu
  • Le matériel pédagogique
  • Le jardin d’enfants

La pédagogie Fröbel connut son moment de gloire dans la 2ne partie du 19ème siècle, surtout à partir de 1870. On l’appliquait notamment beaucoup en Suisse romande, où les 1ers jardins d’enfants virent le jour dès 1860. Des écoles enfantines (ancêtres des écoles maternelles) furent quant à elles créées dans les années 1870.  La pédagogie de Fröbel y fût appliquée jusqu’en 1920, mais souvent de manière sélective : seuls certains aspects en étaient retenus. En effet, les enseignants de l’époque conservaient bien souvent les apprentissages scolaires dits « de base » (lire, écrire, compter) alors que Fröbel les bannissait jusqu’à un certain âge, et en tout cas au moins jusqu’à la sortie du jardin d’enfants. Par ailleurs, Fröbel avait inclus dans sa pédagogie une dimension religieuse et philosophique, que les instituteurs n’ont pas retenue non plus. Ceci explique que, de nos jours, le « label Fröbel » soit utilisé un peu à tort et à travers, parfois en étant très éloigné des théories d’origine.

Pour comprendre comment il a pu développer sa pédagogie et être le 1er à véritablement s’intéresser aux enfants en âge « préscolaire » (avant 6 ans donc, normalement), posons-nous d’abord la question suivante :

Qui était Friedrich Fröbel ?

Élevé dans une famille luthérienne sobre et plutôt stricte, Fröbel grandit sans sa mère, décédée précocement, et en ayant beaucoup de contacts avec la Nature. Il suivit un temps des études de sciences naturelles, mais ses faibles moyens financiers l’empêchèrent de continuer. Il devint enseignant en 1805, dans une école expérimentale, fondée sur les principes du pédagogue suisse Johann Heinrich Pestalozzi, qui influença énormément Fröbel. Il partageait ses idées orientées vers une formation globale de l’enfant, regroupant « la tête, le cœur et la main ». Tous deux étaient persuadés à ce titre que les premières années de l’enfant (correspondant donc à la maternelle) sont primordiales.

En 1816, il fonda un premier institut d’éducation, puis navigua entre études en enseignement, ce qui lui permit d’expérimenter ses théories et de les développer. C’est en 1837 qu’il commença à s’intéresser à la formation du jeune enfant. Il se mit alors à appliquer sa théorie du jeu, puis fonda en 1840 son 1er jardin d’enfants (« Kindergarten »). Il commença à la même période à mettre en place des formation spécifiques pour les adultes destinés à travailler dans ces jardins d’enfants. A partir de 1864, des Kindergarten fleurirent un peu partout entre la Suisse et l’Allemagne.

Le jeu, pour changer le monde

Primordial pour le développement du jeune enfant, le jeu est un moment privilégié, essentiel à la fois au développement personnel et (lorsque que pratiqué en commun), aux relations avec la famille, les frères et sœurs, les amis – c’est ce qui, véritablement importait le plus à Fröbel. C’est ce qu’il appellait l’unité, qu’il exposa dans son ouvrage « L’éducation de l’homme », paru en 1826, et dans lequel il parlait de « l’unification de la vie ». Bien qu’indubitablement inspiré par son éducation religieuse, on peut imaginer qu’il avait fait de cet idéal d’unité familiale une vraie quête personnelle, puisque l’harmonie familiale précisément, lui avait tant manqué, avec le décès prématuré de sa mère.

Cette idée d’unité familiale correspond à ce qui est appelé « éducation sphérique » – le jeune enfant s’épanouit par le jeu au sein de sa famille. Fröbel allait être amené à créer ses propres « jeux », afin de « dérider » les parents récalcitrants (à l’époque, dans les familles bourgeoises, les enfants étaient bien souvent très éloignés de leurs parents, bien que vivant sous le même toit).

En somme, la pédagogie Fröbel n’est autre qu’une version précoce de l’unschooling, avec un matériel spécifique, mais fondé sur les mêmes idées respectant l’enfant, et utilisant les mêmes méthodes et objectifs.

Le jeu permet l’unité, il garantit une ambiance vivante et saine. Fröbel plaçait beaucoup d’espoir de renouveau à travers cette vision du jeu, il incitait les parents à jouer avec leurs enfants, à la fois en créant son propre matériel de jeu, et en favorisant la création d’associations parentales (et oui, déjà avant 1850 !), où chacun participait et s’épanouissait par le jeu, sans barrière d’âge. Cette théorie lui permettait de rêver à une humanité nouvelle.

C’est ce qui amena peu à peu à la création des jardins d’enfants, qui, toutefois, ne satisfaisaient pas Fröbel autant que ses associations, puisqu’ils n’incluaient pas la famille, mais au contraire séparaient l’enfant de ses parents. Le jeu n’avait alors plus sa vocation essentielle de maintien de l’unité familiale.

Ainsi, nombreux sont ceux aujourd’hui qui se réclament de Fröbel, alors qu’ils sont bien éloignés de son idée principale, fondement de sa pédagogie, et raison d’être de son « spielgaben ».

Un matériel pédagogique spécifique

Pour lui, peu de matériel est nécessaire au bon développement et épanouissement des enfants. L’essentiel est que l’enfant intègre cette notion d’unité – entre lui et son entourage, entre lui et l’objet, entre lui et la Nature, l’Univers. Il créa, à ces fins et de ses propres mains, un matériel pédagogique spécifique : un ensemble cohérent de diverses formes géométriques, à la fois planes et solides, et très colorées. Vu l’époque, c’était aussi fabriqué avec des manières exclusivement naturelles.

Il parlait pour désigner son matériel de « dons » (« gaben »), une idée que l’on pourrait traduire par « donner à jouer à l’enfant ». Ce matériel permet à l’enfant de laisser libre court à ses envies et à son imagination, tout en développant sa motricité fine, sa créativité, son vocabulaire, ses connaissances. Il s’agit d’un matériel destiné aux enfants de 3 à 6 ans environ, qui favorise leur éveil ainsi que leurs apprentissages par le jeu – rappelons que Fröbel pensait que les apprentissages plus formels ne devaient pas être abordés avant minimum 6 ans – Blanquer, vous l’aurez deviné, n’est pas admirateur de la pédagogie Fröbel.

Cette pédagogie rappelle ainsi à cet égard la pédagogie Montessori : même si les matériels présentés sont assez différents, ils proposent tous deux un développement complet pour l’enfant – comprenez, qui ne nécessite pas autre chose (comme les apprentissages formels qui sont aujourd’hui devenus obligatoires justement dans les jardins d’enfants en France : où la loi vient complètement s’opposer aux idées fondatrices à l’origine de ces établissements).

Ce matériel est regroupé et connu sous le nom de Spielgaben – ce qui signifie littéralement, « donné pour jouer ». Il compte 13 « dons », et prévoit aussi des livres à découper. Il est revenu à la mode ces dernières années, parallèlement au sursaut d’engouement qui concerne aussi la pédagogie Montessori – ce qui permet à divers sites à portée pédagogique de le vendre à prix d’or.

Le jardin d’enfants

On l’a vu, Fröbel n’était pas enchanté outre mesure de l’expansion rapide des jardins d’enfants, puisqu’ils faisaient perdre, de par leur essence même, le point central de la pédagogie : le cercle familial. Néanmoins, l’idée s’est bien développée sur des bases qu’il avait établies. Quels sont donc, si on reste collé à la pédagogie Fröbel pure, les intérêts des jardins d’enfants ?

  • Le mouvement – l’activité physique fait partie du jeu, et elle est tout autant que lui nécessaire au bon développement ainsi qu’au bien-être du jeune enfant. Le mouvement doit être libre, il s’effectue indépendamment des « dons » – c’est le corps qui s’exprime. Mené conjointement avec d’autres, il favorise aussi diverses qualités qui renforcent l’unité (courses, rondes, danses, etc).
  • Le contact avec la Nature participe à la même idée. Il s’agit de faire comprendre à l’enfant la notion d’unité, du tout dont nous faisons partie. Fröbel prévoyait la conception et l’entretien par les enfants de petits jardins, afin se familiariser avec la vie de la Nature, et d’en comprendre les cycles de croissance et de vie – et, de ce fait, de comprendre sa propre croissance. 
  • Une formation active et concrète, adaptée aux besoins et envies des enfants de ces âges – l’enfant manipule des objets, il est l’acteur principal de ses apprentissages, accompagné par l’adulte qui le guide, lui explique si besoin, sans l’assommer de connaissances scientifiques sans explications qui déforment sa perception du monde (comme le fait l’école classique).

La pédagogie Fröbel eut en son temps une répercussion internationale, bien qu’en pratique, ses « dons » étaient souvent utilisés en complément des apprentissages formels (au lieu de totalement les remplacer) pour appuyer des apprentissages plus artistiques. Malheureusement s’imposaient déjà à cette époque les nécessités matérielles de « faire garder » les enfants. De fait, si les jardins d’enfants restent aujourd’hui nombreux à travers le monde, ils n’ont plus grand-chose à voir avec le but que Fröbel leur prévoyait à l’origine.

Anne-Catherine Proutière, fondatrice du blog « Pédagogies alternatives en liberté », pour Pass éducation