(Re)découvrir l’instruction puis Vivre En Famille – Témoignage pour le maintien de l’IEF en 2021

Je suis belle-mère de deux enfants depuis 2011, nés des deux précédentes unions de mon conjoint : Zoé, 12 ans, est domiciliée la plupart du temps chez sa mère. Elle vient chez nous -domicile du père, donc- seulement 1 week-end sur 2 et la moitié des vacances scolaires. Zoé est scolarisée en 5ème dans un collège privé. Je suis également belle-mère de Dorian, 11 ans, domicilié chez nous. Il a été scolarisé aux écoles publiques de notre ville à partir de la : , puis déscolarisé au bout de 5 années, en fin de : , en 2017. Il est actuellement -2020- instruit en famille depuis plus de 3 ans. En 2014 je suis devenue mère d’un garçon qui a désormais 6 ans, Louriann, il n’est jamais allé à l’école et a donc toujours été instruit en famille. Je suis également mère d’une fille de 4 ans, Jenaa, qui vit le même quotidien que Louriann. Si vous souhaitez en savoir plus sur notre parcours, je vous invite à lire notre expérience en IEF publiée l’année passée.

Un cheminement progressif vers la déscolarisation

En janvier 2017, lorsque mon fils, Louriann, a eu un peu plus de 2 ans, j’ai réalisé que son âge correspondait justement à l’âge auquel j’avais moi-même été scolarisée. Moi, qui avait tant souffert à l’école, de la maternelle au lycée. Moi, à qui on avait tellement répété que ce que je subissais n’était pas grand chose, qu’il y avait bien pire ailleurs. Moi, à qui on a toujours dit que l’école est de toute façon obligatoire – et que donc il n’y avait pas d’autres choix que de se résigner à en subir la violence et ses conséquences. Malgré que, depuis toujours, je me remémorais mes années passées à l’école, je n’avais pourtant jamais réalisé à quel point 2 ans c’est trop tôt pour être loin quotidiennement de ses figures d’attachement principales. Et puis j’ai regardé mon fils, et j’ai pensé, l’espace d’un instant – wow impossible qu’on m’ait scolarisée à cet âge… ! il est si jeune, si fragile, il ne pourra pas être autonome si longtemps, c’est impossible ! ça m’a complètement bouleversée : – mais comment a t-on pu me faire une chose pareille ? Je savais déjà que pour une première rentrée en scolarité il était possible de le faire avec des aménagements : uniquement le matin, en faisant la sieste à la maison, etc. mais cela ne nous correspondait pas donc je voulais savoir tout ce qu’il était possible de faire, je me suis donc renseignée sur les alternatives possibles, et c’est à ce moment que j’ai découvert que l’école n’était pas obligatoire, mais uniquement l’instruction ! S’approprier le langage, découvrir l’écrit, s’exprimer avec son corps, percevoir, sentir, imaginer, créer le monde : l’IEF nous correspondait totalement ! La décision fut alors prise en janvier 2017 : Louriann -qui avait alors un peu plus de 2 ans- n’irait pas à l’école. 

En juin, Dorian, qui était alors à la moitié de son année de : , nous fit part de son souhait d’arrêter l’école à la fin de l’année scolaire, et d’être lui aussi instruit en famille par la suite. Nous en avons beaucoup discuté avec lui, en insistant sur ses attentes et ses besoins, puis nous avons mis en place, ensemble et au fur et à mesure, diverses stratégies pour y répondre et les combler.

Par ailleurs, nous entendons souvent parler de l’école, au quotidien dans les livres, les histoires, les dessins animés, les faits de société ou le matériel scolaire que nous utilisons. L’aînée de mon mari étant scolarisée, nos enfants accompagnent parfois mon mari pour aller la chercher à l’école.

Apprendre à lâcher-prise

La première année nous avons progressivement appris à lâcher prise sur les attentes qui pèsent sur nos épaules : nous étions obnubilés par les attendus du socle commun, et stressés par les contrôles académiques. On s’est alors renseigné, beaucoup, vraiment beaucoup, jusqu’à parvenir à déconstruire peu à peu nos croyances limitantes. Ce cheminement nous a amené à totalement réinventer notre quotidien. La transition vers une IEF ne fut pas simple, ni fluide. Clairement, ce chemin ressemble plus souvent à une rude épreuve qu’à un long fleuve tranquille : RIEN n’est conçu, ni adapté pour les familles IEF, que ce soit au quotidien dans nos sociétés, ou à un plus haut niveau, dans les lois de ceux qui gouvernent. Ainsi, les familles IEF n’ont par exemple pas droit à l’ARS (Allocation de Rentrée Scolaire) – alors que les frais sont, par essence, bien plus importants en Instruction en Famille que pour un enfant scolarisé. Nombre de centres de loisirs du mercredi ou des vacances scolaires refusent d’accueillir des enfants non-sco, tandis que la plupart des établissements dédiés aux enfants n’ouvrent tout simplement leurs portes que lors des congés scolaires… De fait, les enfants non-sco sont véritablement exclus, de par leur statut : simplement parce qu’ils ont fait ce choix, parce que leur famille a fait ce choix, de réapprendre à s’écouter et respecter leur propres besoins et rythmes de développement et d’apprentissages. La société ne les inclut pas. L’Etat ne promeut pas leur droit : au contraire, il le ridiculise, le rabaisse, tente de le nier en le rendant invisible.

Notre entourage, notre relais, notre réseau, nous avons du : soit le créer nous-mêmes, soit le chercher quand il existait déjà (voir : IEF en régions, Groupes et pages facebook IEF, et La carte IEF). Nous avons rencontré des dizaines, et discuté avec des centaines, de familles IEF durant ces trois dernières années. Ces parents sont investis dans leur rôle de parent, cherchent à s’améliorer chaque jour, se remettent en question constamment. Tous ces échanges entre familles IEF nous ont amené à créer la communauté #IEFsansVEO, terrain de réflexions autour de la liberté d’instruire, et sur les droits des enfants, et m’ont permis d’obtenir des réponses concernant l’accompagnement que je souhaitais offrir à mes enfants car moi aussi j’avais des peurs (spoiler: la plupart étaient infondées), moi aussi j’avais des croyances limitantes… Créer cet espace de partage avec des personnes ayant les mêmes valeurs que nous m’a aidé à me sentir légitime vis à vis de mes souffrances passées : je m’écoutais enfin. Je suis alors, inévitablement, entrée en dissonance cognitive. Mes besoins, mes peurs et croyances limitantes, mes habitudes, mon entourage et mon environnement, mes valeurs, mon passé, mon vécu et mes émotions valsaient dans la balance des grandes décisions… De celles qui changent toute une vie, et bien d’autres encore après nous.

Toute cette transition, que j’appelle la “déscolarisation mentale” (elle existe chez les parents, mais également chez les enfants) a duré plusieurs mois. Autant de temps nécessaire pour accueillir les blessures du passé, pour déconditionner nos automatismes pédagogiques avec nos enfants, mais aussi avec nous-mêmes. Honnêtement, avant tout ça, je n’en avais absolument pas conscience : simplement parce que je n’étais pas du tout informée.

Ecouter l’élève en nous et apprendre à légitimer notre propre souffrance

Je n’y connaissais rien et, avec le recul, je pense que c’est important de le reconnaître. En effet, il y a plusieurs années, avant de savoir que l’école n’est pas obligatoire -c’est l’instruction qui l’est!-, et donc de connaître l’IEF (Instruction En Famille), je ne savais pas. Je ne savais pas à quel point les enfants apprennent de manière si efficace, utile, durable et saine lorsqu’ils sont libres. Libres de s’exprimer, libres de bouger, libres de prendre leur temps, de suivre leurs rythmes physiologiques, d’écouter leurs ressentis, besoins, élans et enthousiasmes… libres de dire non, libres de développer leurs propres valeurs, de disposer de leur mental et de leur corps ! Je ne savais pas et forcément j’étais pleine de préjugés sur le sujet de l’IEF. Je ne savais pas que forcer un enfant, le comparer à d’autres, le noter, le menacer, l’humilier sont tout à la fois contre-productifs et délétères pour un développement sain – d’autant plus que l’enfant, en pleine construction de soi et donc avec un cerveau immature, apprend par l’exemplarité.

Je ne le savais pas, parce que j’étais dans le déni de mes propres maux.

Il a fallu qu’une (des) personne(s) prenne(nt) le temps d’accueillir mes maux, pour que je puisse poser de réels mots sur ce que j’avais moi-même subi pendant mon enfance, pendant ma scolarité notamment. Sans elles et sans eux, ces témoins secourables, comment aurais-je pu alors valider le ressenti de nos enfants, alors scolarisés, comment aurais-je pu les croire, sans minimiser ce qu’ils vivaient/subissaient ? Comment aurais-je pu mettre en place concrètement des actions pour les aider, alors que j’étais moi-même embourbée dans mon impuissance apprise et toutes ces fameuses injonctions reçues dans l’enfance, et constamment martelées par la société : « L’école est obligatoire, c’est pour ton bien, t’en as besoin pour apprendre / avoir des amis / avoir un métier… – tu n‘arriveras à rien sans l’école, il n’y pas pas d’autres alternatives… et enfin évidemment le fameux “ on n’a pas le choix” »

Se déconditionner pour se libérer en brisant les chaînes de l’impuissance apprise

Je pense que tant qu’on ne met pas le doigt là-dessus ; tant qu’on ne prend pas réellement le temps de regarder en face son propre passé, d’accueillir ses propres blessures, tant qu’on ne s’avoue pas, nous, personne singulière, avoir vraiment souffert d’apprentissages non-adaptés, tant qu’on ne se sent pas réellement légitime de s’en plaindre, alors il sera difficile, une fois devenu parent, de conscientiser les souffrances de notre propre enfant scolarisé. Tant qu’on ne sait pas qu’on a été victime de harcèlement, de phobie scolaire ou qu’on a déjà vu quelqu’un en souffrir, il est difficile de saisir la violence, l’omniprésence de la souffrance. Tant qu’on ne sort pas nous-même de ce système, tant qu’on continue nous, en tant qu’adulte, à se forcer à quoique ce soit, et à se sentir contraint d’effectuer des tas d’actions au quotidien, tout en continuant de penser qu’on n’a pas le choix… Comment pourrions-nous alors empêcher notre enfant de sombrer dans le même piège – ce cercle vicieux de la violence ?

Je le conçois, pour l’avoir vécu : c’est difficile pour un adulte de tomber le masque, d’embrasser l’ego et d’accueillir des torrents de larmes, tellement contenus, depuis des dizaines d’années… Pas évident de se montrer vulnérable, et surtout de prendre conscience que les personnes (le système éducatif) qui étaient sensées nous (quand nous étions enfant) protéger ont failli à leur rôle. Mais pour tellement plus d’humanité ensuite… un véritable renouveau : un remise en question qui permet d’obtenir des réponses. Pour rien au monde, je ne reviendrais en arrière.

Et pour cela nous avons besoin de vous,

Permettez-nous de conserver nos droits, signez la pétition.

Kirstin Guilbert Letouzé, fondatrice de vivreenfamille.org, pour Pass Education